Je ne veux pas combattre FEAT LUNY

Je crois que je suis tombée malade, après m’être collée ainsi à mon frère, je crois que j’ai attrapé le même virus que lui parce que je sens la mort partout où je vais et que je me suis mise à tousser un peu. C’est malin de ma part ça, je suis supposée soigner et je tombe malade moi-même. Mais je n’allais pas laisser mon frère s’inquiéter et être seul dans tout ça, c’est ridicule. Je suis là pour ma famille. Je suis là pour ma famille et je dois continuer de me le répéter et de m’y accrocher pour que ce soit éternellement vrai. Parce que je ne peux que rester, parce que je les aime et que je veux être là pour les aider, pour les soigner, parce que sans moi, mon frère ne serait peut-être pas encore présent aujourd’hui. J’étais la seule présente quand il s’est montré le museau, fiévreux et sans moi, la fièvre aurait sans doute pris trop d’ampleur. Je ne veux pas le perdre. Je ne veux pas les perdre. J’ai besoin d’Ancre, de cette mère qu’elle a été et qu’elle sera toujours, de son côté rassurant, de ses mots, de sa présence. J’ai besoin de la mère que je n’ai jamais eu avant elle. Elle m’a sauvé, elle m’a empêché de finir ma vie dans une mare de sang, dans la mare de sang de cette mère qui m’a retiré du Clan pour m’avoir juste à elle et que je n’ai jamais compris. Je l’aime. Je l’aimerais toujours, ma mère, mais je ne comprendrais jamais ce qu’elle a fait et pourquoi. Pourquoi me garder si jalousement que pour elle, me prendre et fuir du Clan, me retirer de tout ce que j’avais jusqu’alors connu ? C’était flou dans ma tête, dans mon esprit, je n’avais jamais compris. Et je pense que je ne comprendrais jamais, qu’il n’y aura toujours que des questions, des interrogations, que je ne pourrais toujours que seulement supposer. Je ne sais même pas où elle est. Dans quel ciel. Je ne sais pas du tout. Je ne pense pas que ce soit essentiel de savoir, mais j’aurais bien aimé savoir si elle a pu trouver la paix au moins.

Et je suis, moi, ici. Dans la tanière des botanistes et des guérisseurs. Je sais pertinemment que je n’y aie pas ma place, que je ne devrais pas assumer un tel rôle, que je ne le mérite pas. Mais je suis là et je ne peux qu’assumer. Assumer ce rôle et continuer de soigner, me montrer un tant soit peu à la hauteur pour tenter de mériter la confiance de la Terre et de l’Eau et aussi ne pas décevoir Nepthys parce que je suis presque sûre qu’elle me voit, qu’elle me regarde. Est-ce qu’elle m’en veut ? D’être tombée amoureuse, d’avoir foutu le camp pour le retrouver, parce qu’elle doit connaître la vérité, elle. Elle m’en veut sans doute, et sans doute qu’elle est dégoûtée de cette lâcheté de ma part. Je crains de l’avoir déçue. Mais je la comprendrais. Je ne peux juste pas me permettre de la décevoir encore, alors pour ça, je vais m’enfermer dans ce rôle qui m’incombe, et je vais faire ce que je dois faire : rester dans la Troupe, rester botaniste, laisser mes enfants grandir loin de moi, et assumer la douleur qui vrille mon coeur et rempli mes yeux de larmes, comme cette douleur vivante dans l’âme de Sita, chasseuse de la Troupe que j’aurais aimé aider. Mais j’ai échoué. Je n’ai rien pu faire. Et je la regarde encore par moment, sans trop me montrer insistante, et j’ai mal. Pour elle. Pour moi. Pour la douleur qui habite nos deux âmes. Je ne peux que la regarder de lui s’enfoncer, comme je le fais dans mon coin. Et je ne peux que la comprendre aussi. Je vais rendre Nepthys fière, laver les erreurs, devenir la meilleure des botanistes et un jour tout apprendre à un apprenti. Je dois oublier. Je ne peux oublier. Konoha. Eliwan. Kohei. Nihas. Je ne peux pas les oublier. Mais je vais continuer mon rôle, et laisser ce manque me tuer sans réagir. Sans rien faire. Travailler dur pour mériter l’attention que l’ancienne botaniste m’a accordée alors qu’à quinze lunes, je résidais encore dans la tanière des familles.

Peut-être qu’elle n’aurait jamais dû me prendre sous son aile. Avoir su tout ce qui allait se passer, m’aurait-elle prise en apprentie malgré tout ? Je ne pense pas. Je n’ai pas été à la hauteur et il n’y a rien pour réellement me rattraper. Je ne peux qu’essayer d’atténuer toutes les pensées qui me tourmentent et cette façon que j’ai de m’en vouloir indéfiniment. J’espère qu’elle est loin ailleurs, qu’elle ne me voit pas, qu’elle ne me regarde pas. J’espère qu’elle ne me regarde pas pour éviter cette déception immense qu’elle aura à voir à quel point j’ai bafoué les règles des botanistes. J’ai bien trop honte. Trop honte de ce que j’ai fait, mais je ne peux pas le regretter lui. Je ne peux pas lui en vouloir, je ne peux pas vouloir que les choses se passent autrement, je ne peux pas l’oublier. Comment ? Comment oublier l’amour qui s’infiltre dans les veines, comment sérieusement oublier ce que ça fait sur le coeur et l’âme ? Peut-on réellement obliger un félin à ne jamais aimer ? Est-ce seulement possible de se couper de ses émotions à ce point, d’échapper ainsi à l’amour quand un félin te rassure ? J’aurais aimé ne pas me reprocher cet amour. J’étais perdue. Seule et perdue. Tout était confus. L’Eau était malade. Nous étions loin de chez nous. Je n’étais plus une botaniste. Je n’étais plus rien d’autre que Liwa. Liwa piégée par le Sang. Nous étions rien de plus que deux félins qui ne pouvaient pas comprendre ce qui se passaient autour de nous. J’espère que Nephtys comprendra. Qu’elle saura me pardonner. J’espère. Mais elle n’est plus là et jamais je ne pourrais en avoir la certitude, alors je continuerais de me lever le matin en me demandant si elle me pardonnera, je continuerais de me questionner, d’avoir ce coeur qui se serre en se demandant si je l’ai tant déçue, si elle me regarde d’un oeil dégoûté, si elle regrette de m’avoir donné la chance d’être autre chose que la pauvre petite traumatisée qui ne quitte pas sa mère adoptive. J’ai peur. Je crains sa réaction. On ne se reverra jamais.

Je suis secouée par une petite quinte de toux et je râle un peu. J’ai toujours détesté être malade, surtout que je dois soigner les autres et non pas être malade. Je lève la tête et je vois Vind. J’étais tellement distraite. Je sens à quel point il ne veut pas se battre, à quel point il est épuisé. Se pense-t-il déjà condamné à mort ? Sent-il lui aussi l’odeur de la mort dans le virus ressemblant qu’à un simple rhume ? Je veux le sauver. Je peux le sauver. Je lui adresse un tout petit sourire avant de me rendre dans ma tanière et de lui apporter plusieurs plantes en espérant que cela apaise au moins la douleur et la fièvre.

Il n’y a rien à faire et je le sais, je l’ai compris à partir du moment où mon attention s’est véritablement posé sur Vind, j’ai compris que son temps était venu et que jamais je ne pourrais empêcher la mort de venir le chercher. Oh, c’est certain qu’il risque de souffrir et peut-être qu’il va continuer de se battre, de s’acharner, peut-être inconsciemment parce que parfois notre instinct de survie est beaucoup trop fort alors que notre esprit aimerait seulement que l’on s’éteigne, que l’on s’en aille, pour ne plus jamais ressentir, pour ne plus jamais rien éprouver. Oh, qu’est-ce que je peux comprendre. Parce que je suis malade, parce que mes poumons brûlent parfois, parce que je sens la fièvre qui fait battre mon coeur à mes tempes quand je bouge trop.

Mais surtout parce que la famille que j’aurais pu construire n’est qu’un souvenir lointain et vague que je peux caresser lorsque je m’endors, dans la mélancolie et la nostalgie, le coeur gros et lourd, les larmes aux yeux. La famille que j’aurais pu construire n’est qu’un vestige, n’est qu’une idée, qu’un fragment d’une possibilité qui s’est envolée en un coup de vent quand je me suis rappelée mon poste au sein de la Troupe, quand je me suis rappelée de Ancre, quand j’ai compris que jamais je ne pourrais tout abandonner et j’ai dû faire un choix si douloureux qui continue de me déchirer, de me lanciner. Parce que je suis terriblement tombée amoureuse alors que je n’aurais pas dû et que je ne peux rien faire d’autre que de continuer de ressasser le manque qui me détruit jour après jour. Personne ne peut savoir. Mais sans doute que quelqu’un, quelque part, peut comprendre. Je suis sûre qu’un jour dans cette histoire, un guérisseur est tombé amoureux dans les Clans, un guérisseur a eu une portée et s’est retrouvé dans la même situation que la mienne et ça a dû arriver à d’autres botanistes. Désolée, Nepthys.

Je soupire doucement, tristement, quand mon regard se pose sur Vind et je me dirige de nouveau dans ma tanière. Je prends plusieurs graines de pavot et je les mélange à d’autres herbes. Je les écrase, les prémâche, parce que j’ai bien remarqué la difficulté à avaler, alors je n’allais tout de même pas lui donner quelque chose de dur à avaler. Je le mélange à des herbes fraîches et apaisantes pour la gorge et je lui rapporte. Au moins, enlever la douleur. Je m’en veux tellement. Je ne peux pas le sauver.
Je suis désolée.
Je m’installe à ses côtés et je souris tendrement en espérant au moins que ses derniers jours pourraient être un peu calme. Je vais le veiller, je ne peux rien faire d’autre que ce geste, bien malgré moi, bien malheureusement. J’aurais aimé.