It's funny how some distance makes everything seem small

Reine des Neiges avait été prise par l’envie de prendre l’air. Cela lui arrivait de temps en temps, surtout lorsqu’aucun chaton ne réclamait ses soins ou son attention. Elle se réjouissait que leurs mères soient présentes pour eux mais ne pouvait empêcher son coeur de se serrer en voyant ces tableaux familiaux desquels elle rêvait tant depuis bien des lunes. Elle avait eu cette chance, elle avait failli fonder une famille, être heureuse avec son compagnon de l’époque. Elle avait failli… Non. Elle avait eu un fils. Un fils qu’ils ne lui avaient pas laissé le temps de nommer, qu’ils ne lui avaient pas laissé le temps de le serrer contre elle, de sentir son petit corps déjà froid contre sa fourrure brûlante et couverte de la sueur de l’effort. Un fils qu’elle avait nommé seule, en secret, dans un coin de sa tête. Petit Azur. Petit Azur parce qu’il avait un pelage gris clair parsemé du blanc pur hérité de sa mère. Parce que le ciel resplendissait ce jour-là. Parce que, pourquoi pas ? Mais le Clan des Étoiles ne lui avait pas laissé l’opportunité de l’élever, le voir grandir, devenir un guerrier, se battre pour son Clan et qui sait, peut-être devenir lieutenant puis chef un jour, bien qu’elle ne souhaite aucun mal ni à Étoile d’Équinoxe et encore mois à Esprit des Songes. Non. Pas de famille pour Reine des Neiges. Pas alors que la sienne n’avait toujours été qu’un mensonge de plus.

Alors elle s’était promis de veiller sur chaque chaton venant au monde ou entrant dans la pouponnière du Clan de la Rivière. Parce qu’elle avait toujours voulu être mère et que certaines ne voulaient pas de cette responsabilité. Certaines étaient trop jeunes et ne savaient que faire, alors elle était là, elle aidait. Elle faisait de son mieux pour être la plus disponible possible, souriante et rassurante. Parce qu’elle avait traversé tout ça, elle connaissait et elle aurait bien eu besoin d’un peu d’aide durant sa grossesse et même après. Elle n’avait rien eu. Seulement la compassion gênée des autres reines de l’époque et un soutien un peu distant de sa famille. Rien d’autre. Alors elle apportait ce qu’elle pouvait aux nouvelles mères, qu’elles se sentent à l’aise, capables de tout. Mais parfois, les mères se débrouillaient seules, refusaient gentiment son aide. Elle comprenait, il n’y avait rien de plus glorifiant que d’élever soi-même ces petits bouts de choux. Mais de temps en temps, elle se sentait de trop. Elle n’avait aucun chaton et n’était pas demandée, pas nécessaire. Elle ne voulait pas redevenir une guerrière, devoir se battre pour des bouts de territoire qui ne lui importaient absolument pas. Reine des Neiges n’aspirait pas à une vie de soldat, cette vie qu’on leur imposait dès la naissance, comme si aucune autre alternative n’était envisageable.

Elle était donc sortie du camp, avait pris la direction inhabituelle des Quatre Chênes. Elle ne se rendait plus trop aux Assemblées. Celles-ci, se déroulant toutes les lunes, étaient souvent monotones ou, bien au contraire, chargées de tensions. Pas un environnement dans lequel elle se sentait à son aise. Mais aujourd’hui, en plein après-midi, il n’y aurait personne, ou peut-être un seul autre félin, elle n’était pas à l’abri de croiser un ou deux solitaires, peut-être même un chat venant d’un autre Clan. Elle ne devait pas être la seule à ressentir ces envies de plein air, tout le monde finissait toujours pas étouffer en restant éternellement au même endroit, avec les mêmes personnes et les mêmes pensées ancrées dans la tête. Elle se demandait comment faisait Esprit des Songes pour gérer la pression du poste de lieutenant qui n’était maintenant peut-être plus si nouveau que ça à ses yeux. Reine des Neiges avait bien conscience que s’il y avait quelqu’un qui n’était pas fait pour ce rôle haut placé et convoité par tant de guerriers trop ambitieux pour leur propre bien, c’était bien elle. La responsabilité d’un Clan tout entier alors qu’elle prônait la paix et l’harmonie entre les Clans ? Autant confier l’éducation des enfants à un cannibale, cela revenait au même : un désastre, une horreur. Elle secoua la tête pour chasser ces pensées. Si elle s’était éloignée du camp, il y avait une raison.

Arrivée sur place, aux Quatre Chênes, elle s’arrêta un instant en fermant les yeux pour humer l’air et apprécier la fraîcheur de l’ombre sur son pelage et la douceur de la brise qui se faufilait entre les branches, faisant bruisser les feuilles bien vertes des arbres environnant. Elle se sentait bien ici, dans la quiétude d’un lieu à la fois commun et sacré. Reine des Neiges ouvrit les yeux en sentant l’odeur d’un autre félin, originaire du Clan de l’Ombre. Curieuse et bien intentionnée, elle fit le tour du Grand Roc, réservé aux chefs et, quelques rares fois, à leurs lieutenants, et ses yeux tombèrent sur la silhouette d’un autre chat, un chat au pelage blanc et roux qui lui tournait le dos. Peut-être ne l’avait-il pas sentie, elle était sous le vent après tout, même si masquer sa présence n’était en aucun cas son intention première, au contraire. « Bonjour. Vous aviez besoin d’un peu d’air frais vous aussi ? » demanda-t-elle avec un sourire qui se voulait compatissant, espérant ne pas le faire sursauter ou l’effrayer. Elle aurait peut-être dû se sentir menacée par le guerrier du Clan adverse, ce n’était pas le cas, pas le moins du monde. Ils étaient en plein territoire neutre, il n’avait aucune raison, autre que la cruauté pure, de s’en prendre à elle.