I didn't want trouble - FT Echo d'Argent

La nuit était tombée sur le Clan de l'Ombre. Une patrouille nocturne venait de s'élancer à travers les bois tandis que le reste des félins regagnaient leur repère pour piquer un somme. Seuls deux guerriers restèrent dans la clairière principale afin de monter la garde. Nuage du Tilleul gagna la tanière des apprentis. Il se lova dans son nid de mousse et ferma les yeux, espérant s'endormir rapidement pour ne pas avoir à supporter ses camarades de tanière. Manque de bol, l'un d'eux lui asséna un coup de patte dans le flanc :

- Bha alors Tilleul, t'as pas entrainement ce soir ? interrogea-t-il d'un air moqueur

- Aha, Irréalité d'Eucalyptus en as eu assez que tu chouines dès que vous sortiez du camp ?? renchérit une femelle brune

Irréalité d'Eucalyptus, la mentore de Nuage du Tilleul, avait des problèmes de santé qui l'empêchait de s'exposer au soleil. Elle préférait donc organiser des entraînements lorsque l'astre était couché. Le noiraud ayant peur de son ombre, ce n'était pas une partie de plaisir. La nuit, la forêt semblait pleine de danger. Il allait se réfugier dans les pattes de son aînée à chaque bruissement de feuille. Au final, Irréalité d'Eucalyptus devait avoir l'impression de jouer les nounous plus que d'entraîner un futur guerrier.

Plusieurs novices se joignirent à la discussion. Tous allaient de leur petit argument pour confirmer que Nuage du Tilleul était un trouillard inutile au clan. Le noiraud se recroquevilla sur lui même, honteux de l'image qu'il renvoyait. Il tenta de changer la donne en déballant un énorme mensonge :

- Vous dites n'importe quoi ! Je suis pas un trouillard ! La dernière fois, je suis même allé jusqu'au territoire du Clan du Vent pour me bagarrer contre un guerrier qui nous avait volé du gibier !

Le novice espérait dévier la discussion sur l'irrespect dont faisaient preuve les coureurs de lapins, mais il n'en fut rien. L'ensemble de la tanière s'esclaffa face à l'énormité de son histoire. Au même moment, l'un des guerriers qui montaient la garde déboula dans l'antre. Il hurla pour que les jeunes félins cessent leur vacarme.

- On vous entend brailler au moins jusqu'au 4 chênes ! Cracha-t-il avant de retourner à son poste.

Le calme revint lorsque les apprentis regagnèrent leur nid. Nuage du Tilleul se roula en boule et cacha son visage derrière sa queue. Il aurait voulu fuir la tanière. Il aurait voulu pouvoir pleurer en toute intimité. Il aurait voulu éviter cette humiliation... Mais alors qu'il retenait ses larmes de toutes ses forces, il se fit une nouvelle fois secouer :

- Pleure pas, gros menteur Ricana le novice qui avait lancé les moqueries  D'ailleurs, tu sais ce qu'on fait au menteur ? On leur fait manger de la bile de souris !

- Je suis pas un menteur !! se défendit le noiraud sans pour autant dévoiler son visage

- Alors prouve le. Ramène nous un énorme lapin et je te croirai.

Un frisson parcouru Nuage du Tilleul. Il savait à peine chasser l'écureuil, alors attraper un lapin ? Ceux qui parcouraient le territoire du Clan du Vent devaient être au moins aussi gros que lui ! Pourtant, s’il ne se débrouillait pas pour en attraper un, on lui ferait manger de la bile de souris. Il savait que ce n'était pas une menace en l'air. Il savait aussi que l'ensemble des apprentis seraient là pour assister à son humiliation. Son ventre se noua en imaginant ce qui l'attendait. Alors, il rassembla le peu de courage qu'il avait et cracha à son interlocuteur :

- Je vais te le rapporter ton lapin. Et c'est moi qui vais te la faire bouffer ta bile de souris.

Sur ces mots, il sortit de l'antre sans demander son reste. À l'extérieur, les sentinelles ne prêtaient pas attention à lui. Il avait l'habitude. Personne ne se doutait qu'il allait faire le mur parce que personne ne se doutait qu'il était capable de quoi que ce soit. Cette pensée le fit bouillir de colère. Il allait leur prouver, à tous, qu'il n'était pas un moins que rien.

Prétextant une envie d'aller aux petits coins, Nuage du Tilleul s'isola dans un coin reculé du camp. Une fois sûr de ne pas être observé, il se glissa dans les ronces qui bordaient la clairière. À lui la liberté !

À l'extérieur, les branches charnues des arbres étouffaient la lumière de la lune. L'apprenti sentait son cœur tambouriner contre sa poitrine. Il pouvait lui arriver n'importe quoi dans ces bois ! Mais ce n'était pas le moment de se dégonfler. Il pensa à l'odeur nauséabonde de la bile de souris et cela lui donner la force d'avancer dans l'obscurité.  Tous les sens aux aguets, il tentait d'identifier la provenance de chaque craquement de brindille, de chaque hululement de chouette... Il n'avait qu'une trouille, c'était de tomber sur un renard, un blaireau, ou tout autre animal qui souhaiterait se glisser un félin sous la dent. Par chance, il parvint sans encombre jusqu'au chemin du tonnerre qui séparait son territoire et celui du vent. L'odeur écœurante des monstres le prit à la gorge. Il crut vomir. Jamais il ne s'était autant approché ! De là où il était, il pouvait sentir le sol chaud trembler sous ses pattes. Un premier monstre surgit à quelques longueurs de queue. Le novice hurla de terreur avant de se réfugier dans les hautes herbes qui bordaient la route. Sa vue se troubla un instant tant son pou s'emballait. Il s'imaginait déjà mort, étalé au milieu du chemin, les boyaux à l'air. Tout ça pour un stupide lapin.

Il fallut un bon quart d'heure au noiraud pour se calmer. Il n'était pas le premier félin à s'aventurer sur un chemin du tonnerre. Si d'autres avaient pu le passer, alors lui aussi. Il lui fallut attendre un bon quart d'heure encore, pour que les monstres se calment et que le sol cesse de trembler.

Maintenant !

Dans un hurlement suraigu, Nuage du Tilleul s'élança, ventre à terre. En quelques secondes à peine, il était sur le territoire ennemi. Soulagé d'être en vie, il se jeta dans l'herbe douce en riant. Tout son stress s'évapora. Il l'avait fait ! Il était en vie ! Il s'était même aventuré au-delà de son territoire ! Le noiraud prit le temps de savourer sa victoire en restant étendu dans la verdure tendre. Les terres du Clan du Vent étaient étonnamment agréables...

-Comment je vais réussir à dénicher un lapin alors qu'il fait nuit, moi ? songea tout haut le novice, tandis que ses yeux se perdaient dans la toison argenté.

Il n'eut pas le temps de réfléchir plus longtemps à la question, l'ombre d'un félin se glissa vers lui. Ni une, ni deux, il bondit sur ses pattes pour décamper. Trop tard, le guerrier se dressait déjà devant lui. Pris au piège entre le chemin du tonnerre et son adversaire, Nuage du Tilleul se laissa submergé par la peur :

- Pitié ! C'est pas ce que tu crois !! Je ... je me suis perdu !!

Le noiraud pria le Clan des Etoiles pour que le félin gris le laisse partir sans encombre. Finalement, la sentence qu'était la bile de souris semblait beaucoup plus douce face à la possibilité de se faire tailler en pièce par un guerrier ennemi.