cueillette aquatique
L’Azurite restait à distance raisonnable de la guérisseuse. Elle savait, la chasseuse, la politesse et le respect - savait préserver sa place. Même lorsqu’en territoires libres, elle ne s’avançait jamais trop. Dans toute sa douceur et sa bonté, ne jamais trop prendre de place pour ne pas trop déranger. Même auprès de son amour, toujours préserver cette façon de penser - toujours rester quelque part où sa présence ne pourrait pas être “trop”. L’Azurite restait toujours à l’écart, c’était là sa place et elle l’avait apprise, l’avait même accepté au fil du temps.
Elle pencha légèrement la tête sur le côté, la féline au pelage de la nuit, cherchant presque à s’excuser immédiatement parce que son but n’avait jamais été de surprendre - de faire peur. Elle avait eu peur, aussi, l’Azurite. Peur que la guérisseuse se retrouve dans l’eau glacée des Grands Lacs par son arrivée à elle et les paroles prononcées négligemment. Jamais dans le but de déranger. L’Azurite ne souhaitait jamais causer malheur aux autres, pas même à elle-même. Elle brillait de sa bonté, de sa faiblesse - elle brillait de son inactivité, mais pas de malveillance, pas de malice.
Puis l’Azurite réalise. Elle réalise l’inconfort qu’elle provoque - elle réalise qu’elle ne devrait peut-être pas être autant intéressée au niveau des plantes, des soins, mais surtout, des guérisseurs et pourtant. Elle ne peut pas faire autrement. Les étoiles ont toujours été sa place, ou plutôt le sont désormais depuis un moment. Et malgré que ses pattes foulent désormais la terre ferme, elle ne peut pas oublier où elle réside réellement - où elle appartient. Les prophéties qu’elle a vu, qu’elle a entendu, les discussions entreprises, et l’impuissance qui appartient aux étoiles. Elle recula un peu, quelques pas en arrière, pour laisser encore un peu plus de place à la femelle du Clan du Vent - comme une excuse muette, impossible à entendre et pourtant. Pourtant, dans les yeux de l’Azurite, on peut voir toutes les excuses qu’elle ne prononce pas et la conscience qu’elle possède - conscience qu’elle empiète sur la place qui lui est donnée. Elle ne sait pas, l’Azurite, comment répondre. Elle est un peu perdue, elle aussi, tout comme la guérisseuse, son esprit légèrement embrumée - légèrement bousculée par quelques pensées et quelques excuses qui demeurent non prononcées.
Alors, pour le moment, pour ne pas laisser un silence s’étendre entre elles deux, l’Azurite choisit une porte de sortie facile. Je suis Azurite Fragmentée, une guerrière du Clan de l’Ombre. Se présenter comme première étape. Comme point de départ. Ça donnait toujours un peu plus de temps pour penser, pour réfléchir, pour se sortir d’une situation qui peut paraître légèrement délicate. Mais elle allait devoir répondre à la question qui avait désorientée la guérisseuse et l’Azurite ne comptait pas se défiler. Elle était lâche, elle le savait - refusait de l’être cette fois-ci. Je me tiens au courant des guérisseurs de nos Clans.. J’ai entendu votre nom à l’Assemblée. Assemblée, lieu de rencontres, de paix et de murmures. De ragots, aussi, souvent. Une fois, Étoile de Jaspe et Étoile Machiavélique avaient ouvertement annoncé une alliance, provoquant une vague de contestation.
Votre mentor était gentil… J’espère qu’il est en paix, maintenant. Citron Vert. Atteint d’une maladie incurable, inconnue - que le Clan des Étoiles lui-même n’avait pas pu comprendre. Mais ils avaient pu trouver le moyen de communiquer avec un esprit capable de traverser les cieux des Clans, pour le lier à une féline des Troupes à la même condition : Assalys. Oui, elle se souvenait, l’Azurite.
Pauvre Citron Vert. Elle espérait qu’il avait trouvé la paix dans la mort. Et que cette condition ne l’avait pas suivi au Clan des Étoiles. Il le méritait. Comme tous les chats.
Son attention se retourne sur la guérisseuse qui se trouve en face d’elle. Vous êtes peut-être mieux d’attendre d’avoir séchée un minimum ici avant de rejoindre la lande. Le vent y souffle fort… L’Azurite oubliait. Elle oubliait les informations qu’elle ne devrait pas connaître - elle oubliait les informations qui n’étaient pas accessibles autrement que par la voie des Étoiles ou encore, en vivant dans le dit Clan. De là-haut, elle pouvait tout voir. Bien entendu, elle avait toujours préféré y observer son amour, mais ça ne changeait pas les faits : elle pouvait tout faire. C’était compliqué. Définitivement compliqué, de faire attention aux paroles qu’elle prononçait, aux informations laissées. Parfois, confidences.
Alors, comme pour chasser les paroles prononcées, elle s’approcha du rebord du Grand Lac, avec prudence, avec précaution, pour observer les alentours. Avant de plonger sa patte dans l’eau, elle préférait s’assurer qu’aucune plante n’avait poussé sur le rebord, pas encore totalement immergée.
Elle aperçut, presque à la surface, un plant de menthe aquatique et plongea sa patte dans l’eau glacée - en grimaçant légèrement - pour en ressortir ce qui avait été vu, ce qui était recherché, le rapportant près de la guérisseuse. En voici une de plus. Comment se porte votre Clan ? La saison froide n’a pas été trop dure pour vous ? L’Azurite avait appris à s’inquiéter pour la forêt entière, pour le sort de tous les félins, pas seulement de ceux de son Clan, ne retenait pas que ce n’était pas chose courante. Inquiétude sincère, inquiétude profonde, qui brillait dans son regard verdâtre - regard qui lui avait toujours appartenu, même auparavant.