Comme chiens et chats. [ft. Rêve de Pluie]

Rêve de Pluie ferma les yeux, et savoura les rayons de soleil qui irradiaient dans le campement, s'imaginant la beauté de leur territoire sous l'astre doré en une aussi belle journée. L'odeur de poisson et des proies fraîchement ramenées titillait le museau de la grise. Les oiseaux chantonnaient, la journée était belle et ... Serres d'Aigle se mit à grogner, voire même à hurler sa douleur.
   La guérisseuse remua la queue et les oreilles, fort agacée, et lâcha son spot de qualité en plein soleil pour retourner dans la tanière sombre où l'odeur médicinale prenait l'avantage sur l'odeur de poisson. Le guerrier vétéran ne comprenait pas qu'une entorse se soignait en plus d'une nuit, et que marcher avec sa patte blessée empirait les choses plus qu'autre chose. En bref, il était idiot et ne cessait de se plaindre, comme si cela soulageait sa douleur. Il n'arrêtait pas de demander des graines de pavot, comme si c'était le remède magique, alors qu'elle se tuait à lui faire des cataplasmes de qualité pour qu'il quitte enfin sa tanière.
"Je ne vais pas te donner une graine de pavot en plus. Tu vas encore geindre avec des maux de ventre dont je ne pourrai rien faire. D'ailleurs, je vais faire un tour, alors serre les crocs et tais-toi un peu."

  Elle lui tourna le dos sans chercher le moins du monde à lui trouver un soulagement pour sa douleur, et sans attendre qu'il ne réplique. Comme chiens et chats, ils ne se supportaient pas, et ne faisaient pas le moindre effort pour arranger les choses. Elle estimait que c'était à lui de s'accoutumer à ses règles, puisque c'était dans son antre qu'il se trouvait.
La grise passa devant la jeune guerrière qui surveillait l'entrée du gris comme une trombe, en la saluant seulement d'un coup de queue agacé, signifiant bien qu'elle n'était pas d'humeur bavarde et qu'elle voulait chercher ses baies de genêt seule.
"RÉV GE PLUUU AAAHHAN OIII !!"

  Rêve de Pluie marqua un temps d'arrêt, à l'entente de la voix de son frère, même si celle-ci était déformée, puisqu'il semblait tenir quelque chose dans sa gueule, probablement une proie - un oiseau, vu son odeur. Ces proies étaient rares dans la rivière, puisque les félins n'étaient pas les plus habiles à chasser sur la terre ferme, et encore moins les volatiles, qui s'envolaient rapidement. Elle se retourna et l'entendit arriver à vive allure, puis déposer l'oiseau à ses pattes, le bruissement de ses ailes qui ne pourraient plus jamais voler contre le sol humide.
  Onde du Ruisseau avait l'habitude de prêter plus attention qu'elle à son ratio de nourriture, et c'était très régulièrement qu'il lui ramenait à manger alors qu'elle n'y songeait même pas. Elle appréciait cependant le geste du guerrier doré, très protecteur pour elle.
"Ze peux me zoindre à toi ? Z'aimerais bien marsser"

   Elle hocha la tête, puis saisit le bout de viande, sentant la chair encore tiède s'enfoncer dans ses crocs et les plumes lui chatouiller le palais. La féline grise ne souhaitait pas vraiment que la guerrière qui faisait le guet participe à leur conversation. Elle ne demandait que la paix et un peu de silence, mais Onde du Ruisseau était un rayon de soleil, et elle ne pouvait lui refuser un moment en tête-à-tête. Il faisait tant pour elle, et elle l'avait senti un peu dépassé par les événements avec Sourire Espiègle et compagnie.
  Elle marcha un petit moment, histoire d'être assez à l'écart du camp, puis déposa son morceau de viande au sol. Elle s'allongea sur le ventre, et engagea enfin la discussion :
"Alors ça va ? Ca fait du bien, un peu de calme, après tout ce qui s'est passé."

  Rêve de Pluie était intriguée de savoir comment son frère se sentait vraiment, sans qu'il ne mente ou qu'il arrondisse les angles de la vérité. Elle n'était pas là en tant que guérisseuse, mais vraiment en tant que sœur qui ne pouvait se passer de son jumeau, et qui s'inquiétait constamment de son bien-être.
    Elle croqua un morceau de l'oiseau, et savoura le goût si différent que celui du boisson. Sentir le sang dans sa gueule était vraiment plaisant. Elle le repoussa du museau, en proposant silencieusement une part à son frère.
"C'est toi qui l'a chassé ? Il est délicieux, goûte."

Elle s'intéressait vraiment à ce que ressentait la boule de poils dorée. Au fond, Onde du Ruisseau, s'il était apprécié par beaucoup, n'avait pas beaucoup d'amis. Elle n'était pas même certaine qu'il en ait, puisque les guerriers de son âge le jugeaient un peu pour sa joie de vivre qu'ils pouvaient caractériser comme un peu idiote. Elle ne savait pas s'il se confiait à d'autres qu'elle, et estimait qu'il était de son devoir de prendre soin de lui comme il l'avait fait avant.
Pour sa part, elle avait mal vécu tous ces événements, mais n'avait pas eu à se positionner comme l'avaient fait certains. Elle avait simplement eu à soigner, pendant des heures et des heures sans relâche, observée de travers par les sbires de Folie des Nuits et de Sourire Espiègle, avait dû vivre une rupture brutale avec sa compagne de toujours Rêve de Pluie. Mais elle ne se sentait pas légitime de se plaindre, alors que certains avaient dû se battre pour leur Clan, voire même pour la survie de Cerfblanc.
"Non ! Ze l'ai choizi sur la pile de zibiers. Z'aimerais bien être capable de sasser ainsi."

  Le ton zozotant de son frère la tira de ses pensées. Sans s'en rendre compte, il insinuait qu'il avait des incapacités à se débrouiller en chasse, et ça lui faisait mal au coeur. Elle qui aurait tant voulu se trouver des aptitudes à devenir une chasseuse et une guerrière hors-pair ne pouvait même pas aider son frère à s'améliorer lui aussi. Elle savait qu'il voulait devenir mentor, mais s'il manquait de capacités à être doué lui-même, cela risquait d'être compliqué qu'il ait un novice sous sa responsabilité.
Après avoir dégluti un morceau et approuvé la qualité du volatile, Onde du Ruisseau lui renvoya le morceau de viande, qu'elle avala rapidement. Son frère était connu pour n'être que très peu patient, et c'est donc sans surprise qu'elle l'entendit se lever, à moitié sautillant, attendant d'aller se balader.
« Je suis sûre que tu serais capable de chasser comme ça, si l’occasion venait à se présenter à toi», rétorqua-t-elle, dans le souci de ne pas le mettre mal à l’aise et de l’encourager.


Rêve de Pluie se leva, gratta la terre molle d’un coup de patte mou, puis enterra les restes du squelette de la charogne qu’ils venaient de dépouiller. Elle leva les yeux vers le Clan des Etoiles, les remerciant pour ce don qu’ils venaient de leur faire, et engagea la marche aux côtés de son frère, leurs fourrures se frôlant de temps à autre, lorsque le chemin se serrait brusquement. Elle savourait ces instants éphémères, qui pouvaient paraître si usuels et qui pourtant lui donnaient la force de se lever le matin et de prendre du plaisir dès que l’occasion se prenait.
« Ca te dit d’aller au pont ? Il y a de la menthe pas loin. Et puis, c’est loin, ça me permettra de prendre l’air et de laisser Serres d’Aigle se plaindre tout seul ! »

Sans vraiment attendre sa réponse, elle était déjà partie dans cette direction, sachant bien que son frère la suivrait partout si elle le voulait.