Peace & Hope, ft Loutre

Aller rendre visite aux anciens : fait. Rêve de Pluie avait passé une bonne heure, en compagnie des nouveaux apprentis, à leur expliquer comment extirper les tiques de la peau de leurs aînés le plus doucement possible, sans le faire mal. Il avait fallu leur faire montrer un peu de bonne volonté et leur apprendre à sourire (c'était l'hôpital qui se foutait de la charité !), elle qui ne supportait pas qu'on manque de respect et de patience avec ceux qui avaient fondé le Clan qui était le leur aujourd'hui.
    Passer à la pouponnière : fait. Elle avait dû aller voir Petit Renoncule, qui souffrait d'un mal de gorge plutôt intense. La grise en avait profité pour parler quelques instants avec les reines, discutant de la pluie et du beau temps, sujets qui n’étaient en rien importants et qui, pourtant, la faisaient se sentir membre à part entière de ce Clan qu’elle chérissait sans pour autant l’adorer.

La journée se passait tranquillement, et c’était fort agréable. Il faisait chaud, le soleil tapait et caressait de ses rayons la clairière inondée par la chaleur, mais une légère brise rendait l’atmosphère plus vivable, plus supportable. La grise savourait ces journées sans aucun problème, aucune urgence et aucun stress, qui lui permettaient de faire le point avec tout le monde pour s’assurer que tous les félins du Clan allaient bien , tout du moins physiquement. Elle s’efforçait de faire un tour chez les anciens régulièrement, mais il avait parfois été compliqué de leur trouver du temps, depuis l’hiver et la disgrâce d’Etoile Courageuse, puis des combats … Elle tentait de se rattraper, même s’ils ne lui portaient pas préjudice de son absence.

Rêve de Pluie inspira l’air frais, sentant la douce odeur de poisson que certains guerriers venaient de ramener avec leurs apprentis. Elle parvint même à entendre les ronrons de satisfaction et de fierté des jeunots qui nourrissaient leur Clan à la force de leurs pattes. L’ambiance était vraiment au beau fixe, et cela faisait plaisir à voir.
Après quelques minutes de repos, la guérisseuse retourna dans l’ombre de son antre, profitant de la tiédeur des lieux, puis entreprit de commencer à ranger toutes ses plantes médicinales. Elle se faisait un point d’honneur à faire quasi quotidiennement le tri de ses remèdes pour prévenir au cas où quelque chose lui manquerait en cas d’urgence vitale. Détestant le stress, elle préférait avoir tout en double plutôt que de ne pas avoir une plante et ainsi de soigner dans la rapidité.

Aucune des feuilles ne manquait, même s’il faudrait bientôt aller chercher des feuilles de soucis. Seulement, il faudrait attendre une averse pour ne pas qu’elles soient trop sèches, et alors libératrices de trop peu de jus. Ce serait du gâchis de les arracher à leur environnement, si c’était pour n’en utiliser que quelques gouttes inefficaces. Seulement, les baies de genièvre manquaient à l’appel, et la grise était bien assez au courant que l’été, on s’empiffrait plus facilement avec l’abondance de poissons et qu’on ne songeait pas que notre estomac n’était pas forcément habitué. Deuxième cas de mal de ventre possible, les proies restaient trop longtemps au soleil, et elles risquaient de pourrir sans qu’on ne s’en aperçoive vraiment. En bref, elle devait aller trouver des baies de genièvre.
Après avoir attrapé deux grandes feuilles destinées à poser les petits fruits parfaitement ronds, elle sortit de son antre, et alla rapidement trouver Etoile Courageuse, qui mangeait un poisson non loin de la souche. L’état de la cheffe l’inquiétait un peu, il faudrait qu’elle lui en touche deux mots un peu plus tard. Notant ça dans un coin de sa tête, elle l’aborda avec un sourire poli :
« Bonjour, Etoile Courageuse. Excuse-moi de te déranger, mais n’aurais-tu pas un apprenti à ma disposition pour m’aider à remplir les stocks ? »

Et la meneuse lui offrit sur un plateau d’argent sa nouvelle apprentie : Nuage de Loutre, qui mangeait seule, non loin d’elles. Bien décidée à ne pas l’embêter avec tous ses ressentiments, elle qui semblait avoir de nombreux problèmes, Rêve de Pluie la remercia puis s’effaça. L’idée d’une patrouille avec son ancienne meilleure amie la rendait mi-figue mi-raisin. Elle était partagée entre l’envie d’une conversation pacifique, quitte à finir ce qu’elles avaient commencé à dire juste après la bataille entre la cheffe et la charbonnée. Mais le caractère tempêtueux de cette dernière compliquait fortement les choses.
Un peu nerveuse intérieurement, mais bien stoïque en apparence, la féline perlée rejoignit la guerrière déchue et prit la parole :
« Etoile Courageuse t’a nommée pour m’accompagner chercher des baies de genièvre. On va dans la forêt. »

Sans attendre sa réponse, elle s’engagea hors du campement, les feuilles entre les crocs, quasiment sûre qu’elle la suivrait : c’était soit elle venait avec elle, soit elle irait faire un entraînement avec Etoile Courageuse. Et connaissant la haine qu’éprouvait Loutre envers sa mentor, le choix ne devrait pas être compliqué.

Elle sentit son ancienne amie lui emboîter le pas. Automatiquement, elles se calquèrent à la même allure, plutôt rapide, elles qui détestaient perdre leur temps. Seulement, Rêve de Pluie comptait bien profiter de la fraîcheur de la forêt, malgré la compagnie peu encline à la discussion de Nuage de Loutre. C'était fou comme elle détestait ce nouveau nom, qui effaçait tout ce qu'avait pu accomplir la charbonnée en tant que guerrière. C'était le but après tout, de supprimer ses actes pathétiques et ses alliances misérables. En soit, le geste d'Etoile Courageuse était compréhensible, et elle préférait toujours ça au bannissement. Mais cela lui laissait un goût amer dans le creux de la gorge.

  Elle ne savait pas si elle devait parler, ou rester dans le même silence, pas si pesant que ça. La grise doutait que la robuste féline veuille parler avec elle. Elles ne s'étaient pas adressé la parole depuis le jour où Loutre était venue (involontairement, évidemment) panser ses blessures et qu'elles s'étaient liguées contre la cheffe.
- Il paraît que je te manque ?

AH.
BON. Il semblerait qu'une taupe ait été souffler ces mots à Nuage de Loutre. Maintenant, la question était de savoir qui donc. Et la liste était courte, pour deux raisons principales :
1. Pluie ne se confiait jamais à quiconque sauf à ses parents et son frère. Or, Pelage de Lune avait cette tendance à détester ceux qui touchaient à son Clan, sa seule famille depuis que ses parents étaient morts. Ainsi, il considérait Loutre, comme bon nombre de félins dans le Clan, comme une traîtresse sans foi ni loi qui n'avait plus sa place ici. Et Epine d'Or, si elle lui avait parlé de ce vide qui lui laissait un trou béant dans le cœur, n'aurait pipé mot à personne. Sa mère était une tombe, et elle savait que ses secrets n'étaient pas mieux gardé que par elle. Il ne restait plus qu'Onde du Ruisseau, son frère adoré mais très bavard. Si elle aimait sa sociabilité et qu'elle pouvait l'écouter parler pendant des heures, et qu'il pouvait en faire de même, elle détestait sa manie à ne pas comprendre que certaines de leurs discussions avaient un caractère plus privé que d'autres.
2. Loutre était détestée par de nombreux membres du Clan (voir les raisons ci-dessus avec l'exemple de Pelage de Lune). Ils n'allaient donc pas aller lui raconter des confidences, alors qu'il était bien plus amusant de lui cracher dessus.
Ainsi, le coupable tout désigné était Onde du Ruisseau, qui s'intéressait à tout le monde avec sa gentille naïveté, notamment les âmes solitaires et déchirées, telles que elle-même ou la charbonnée, en ce moment. Il lui avait compté qu'ils s'étaient vus de nombreuses fois. Cela avait fait doucement sourire la guérisseuse, qui se doutait bien qu'en temps habituel, la guerrière n'aurait pas perdu de temps à papoter au zozoteur, qui ne lui permettrait jamais d'accéder au haut de la pyramide. C'était tristement amusant, en réalité.

Néanmoins, ce qui était moins amusant, c'était que Loutre avait posé une question. Et que dans l'ordre logique des choses, Rêve de Pluie avait à lui répondre. Elle ne pouvait se contenter de l'ignorer, ce saurait trop simple et cela détruirait complètement un retour possible en arrière, avec un fossé impossible à franchir par la suite.
Elle ne se voyait pas sortir une réponse philosophique, tirée de longues heures d'écoute de la sagesse des anciens, ni même s'en tirer trop facilement en minimisant ce qu'elle pensait. Il fallait assumer tout ce qu'elle pensait, et voir par la suite ce qu'il en aviserait. De toute façon, la situation ne pouvait être pire.
- Disons que l'amie que tu as été me manque. Mais j'ai été très contente de ne pas avoir à supporter ta vanité pendant que Folie des Nuits était au pouvoir. Maintenant que ta fierté est au plus bas, c'est plutôt de la peine que tu m'inspires, toujours toute seule. Parce que j'aurai aimé t'aider.

Elle avait un peu ralenti, de sorte à ce qu'elles ne se trouvent l'une de l'autre qu'à une longueur de queue, afin de faciliter la discussion. Les mots étaient sortis simplement, sans grande tournure de phrase, mais avec une sincérité qui avait déconcerté elle-même Pluie. Elle ne s'était pas attendue à ouvrir son coeur de la sorte, elle qui ne réservait ce droit qu'à Ruisseau (qui visiblement, ouvrait son coeur à elle à d'autres).
Elle craignait que son ancienne amie prenne mal la partie quant à la pitié qu'elle instaurait. C'était pourtant réel. Elle était pathétique. Elle qui avait toujours été entourée de fans, le contraste était d'autant plus saisissant. La solitude ne lui allait pas du tout. Mais elle attendait la réponse de Loutre avec une certaine impatience, voir si les leçons qu'elle avait subies l'avaient remise en question, ou si elle continuerait à s'énerver et à montrer les crocs plutôt qu'à s'ouvrir un peu.